La nuit est tombée sur Los Cabos, au loin j’entends la musique et le speaker qui annonce le nom des arrivants … j’ai débuté le marathon depuis 4h30, le vainqueur de ma catégorie a également remporté la course et par la même occasion son slot pour Kona depuis plus d’une heure … Moi il me reste encore 14km à tituber comme un zombie… 14 km à essayer de contenir les douleurs musculaires et la déception … Peu à peu la ligne se rapproche, je trottine pour la franchir, c’est mon 6e Iron Man en 4 ans mais je n’en tire aucune satisfaction, je viens de vivre 14h28’ d’enfer pour rien , une anecdotique 191e place et une 6e place dans ma catégorie… J’ai été simplement stupide d’y croire, stupide de penser qu’après une année blanche, en bricolant 3 mois de préparation j’allais retrouver un niveau suffisant pour jouer quelque chose … J’y aurai cru jusqu’au départ de la course, me persuadant que les mauvaises sensations la semaine précédente n’étaient qu’une illusion, me focalisant sur les quelques courses rassurantes et sur les 8 semaines de préparation express à grand coup de 25h/semaine et de sorties à rallonge… Mais la réalité m’a rattrapé. Pas au niveau qui était le mien, pas suffisamment préparé, j’ai poursuivi un mirage : la qualification pour Kona… Pourtant la victoire de la course et donc la qualification pour ma catégorie s’est jouée en 9h45’, un temps que je suis largement capable de faire… Mais avec des ‘’si ‘’ on refait le monde, et là, il n’y a qu’une vérité : celle de la course.
Malgré tout, j’ai vécu une aventure formidable et j’accroche un nouvel IronMan à mon tableau de chasse ; En deux années le Mexique m’aura énormément frustré sur le plan sportif mais il m’aura aussi beaucoup appris. Comme Cozumel, je repart avec d’immenses regrets mais avec des souvenirs inoubliables.

Retour 17h plus tôt ;

Nuit noire sur la mer de Cortez, il est 4h du matin et nous nous réveillons. Nous sommes arrivés il y a une semaine en Basse Californie après un voyage de plus de 40h. La préparation depuis septembre s’est plutôt bien déroulée et les dernières courses ont été rassurantes. Cette dernière semaine les doutes ont commencé à affluer mais avant une épreuve de ce genre c’est normal …
La nuit à été courte mais il faut se mettre en ordre de marche. Direction la salle de petit déjeuner pour le dernier repas d'avant course. L'hôtel est rempli de triathlètes et comme chaque matin d'ironman les visages sont tendus.. le mien aussi doit l'être mais je me sens plutôt bien. Cette semaine les sensations n'étaient pas géniales mais ce matin tout s'est envolé ... et c'est tant mieux ! Après un dernier check des affaires de courses direction le bus qui nous mène sur le lieu de départ. Nous rentrons dans le parc à vélo à la lueur des frontales et le rituel se met en place : fixer les gels sur le cadre, vérifier la pression des boyaux, fixer la bombe anti-crevaison.. Il nous reste un peu plus d'une heure avant le départ puisque le half ironman nous précédera ... L'occasion de penser à la journée qui nous attend : 3,8 km de natation dans l'océan sans combinaison (eau à 28 degré), 180 km en deux boucles avec un aller-retour entre San José Del Cabo et Cabo San Lucas (2000m de D+) et un marathon avec 300m de D+ en trois tours menant du centre ville au front de mer et au port de San Sosé ... la température prévue au plus chaud de la journée avoisine les 40 degrés ... tout un programme !
Le soleil se lève peu à peu et il est temps de rentrer dans les sas de départ... Je me place en première ligne, sur la gauche ... l'hymne mexicain débute et la pression monte tout doucement ... j'essaie de faire le vide dans ma tête et de rester focalisé sur mes sensations. Le parcours est simple : 200m, virage à 90 degré, 1900m en ligne droite, deux virages à 90 degré puis retour sur la plage…
Les officiels se retirent, la corne de brume retentit ... Je profite des quelques mètres à courir sur la plage pour replonger sur la droite... Je parviens à passer au dessus des vagues et je me retrouve devant. Les 200 mètres jusqu'au premier virage sont intenses, chacun essaie de se faire une place... trois nageurs se détachent sans que je puisse prendre leur pieds, une petite houle de trois quarts arrière s’invite à la fête… je me dis que les choses commencent plutôt mal ... mais bon il faut garder la tête froide. Après une vingtaine de minutes à nager seul, deux nageurs remontent à mon niveau. Je me calle bien au chaud dans les bulles, pas question de prendre un seul relais ! Demi tour, rapide coup d'œil à la montre : 30’ … Douche froide, je suis complètement en dehors de mes allures ... nous nous retrouvons avec le courant de trois quarts face et je bataille pour ne pas dévier de ma trajectoire et perdre les pieds ... plus les mètres défilent et plus j'ai l'impression que la houle se renforce... à 400m de la plage je saute du groupe et termine donc seul la natation. Je retrouve la terre ferme avec la sensation de m’être battu avec l’eau durant des heures... temps officiel 1h00' mais pour 4300m ... j'apprécie le geste des organisateurs ! Direction la tente de changement, j'attrape mon sac de transition, j'enfile ma ceinture porte dossard et mon casque et je cours retrouver mon fidèle Wilier. Je m'excuse rapidement de l'avoir fais patienter autant et je m'empresse de sortir de l'aire de transition... un groupe de français m'annonce 6e à la sortie de l'eau à 3'... mais je sais que je suis 3e de ma catégorie ... comme dirait l'autre va falloir se sortir les doigts du cul !

Le parcours vélo débute par une bosse qui nous mène jusqu'à la Transpeninsular ... Je double deux concurrents d'ont un de ma catégorie dès le départ ... je pointe donc 4e ! Les choses sérieuses peuvent commencer... le parcours est un aller-retour vallonné entre les deux principales villes de la région ponctué d'une ascension de 5km à chaque extrémité de l'aller-retour ... soit 4 bosses et 35km de ligne droite en toboggan sur le bord de mer entre chacune d'elles ! La moyenne monte rapidement malgré les sensations pas extra. Le tête à tête de 5h avec mes prolongateurs peut débuter !
Je remonte assez rapidement sur la tête de course, je double deux autres concurrents dont le leader de ma catégorie : un mexicain que j’avais identifié comme le plus dangereux pour moi. Il ne me laisse pas partir et s’accroche à moi. Pas d’inquiétude, pour l’instant les choses se déroulent parfaitement, j’ai prévu de m’isoler dans la première bosse …
J’aperçois le premier, l'occasion est trop belle, erreur ou pas, je fais rapidement la jonction et me retrouve à mener la course ... sans aucun pro au départ, ça vaux ce que ça vaux mais avoir les motos ouvreuses sur un ironman labellisé ce n’est pas tous les jours que ça arrive alors je savoure ce trip ! Il fait déjà plus de 36 degrés, et le vent se lève tout doucement... Les choses vont se compliquer. Après quelques kilomètres je me fais doubler par le mexicain, je décide d'accrocher son rythme. Il ne creuse pas l’écart sur le plat mais me prend quelques secondes à chaque montée. Derrière personne en vue, les écarts augmentent… la bagarre commence mais plus le temps passe et moins j'arrive à me forcer à appuyer sur les pédales... mentalement je suis déjà sur un chemin de croix mais je n'ai pas le choix... Je me raisonne en espérant que ce moment de moins bien sera suivi par de meilleurs instants ...
Nous attaquons la descente sur San Lucas avec en point de mire l’Arche : le rocher en forme d’arche (facile) qui sépare l’océan Pacifique de la mer de Cortez ; après seulement 30 km, il me lâche. La moyenne frôle les 37 km/h lorsque j’arrive dans la ville et débute l’ascension dans le désert. Me voila donc en tête à tête avec les vautours et les cactus pour compagnons ... premier demi tour, j'ai pris un tir dans cette bosse, plus que 34.5 de moyenne et je pointe à 1' de la tête. Heureusement derrière c'est loin et pas suffisamment dense pour qu'un groupe se forme ... "joue avec tes armes, tu sais être fort en fin de vélo". Je repense à Cozumel et fixe mon attention sur ça... si je veux revenir devant je dois le garder à distance raisonnable et attendre son explosion ... les kilomètres défilent, les ravitos aussi ; j'ai l'impression de boire des litres alors qu'en réalité je me restreint pour ne pas saturer mon estomac. La chaleur est telle qu'on nous tend des sacs plastiques remplis de glaçons ... Je les glisse dans ma trifonction en espérant me rafraîchir, mais ici c'est mission impossible. Sur l’autre coté de l’autoroute un embouteillage s’est formé, les gens nous applaudissent depuis leur fenêtre, certains descendent même de leur voiture pour nous voir passer …
Me voici à l’entrée de San José, au pied de la seconde bosse en compagnie du troisième qui me double dans les premières pentes... il n'est pas de ma catégorie alors pas de regrets... Le soleil fais son œuvre, la chaleur difficilement supportable sur le plat se transforme en fournaise dès que la pente augmente. Des habitants nous arrosent avec un tuyau d’eau… Mais malgré tout j’ai l’impression de ne pas me refroidir. Plus que 90km et déjà 2h35 que je suis sur mon vélo, un peu en retard pour faire sub 5 mais les conditions ne s’y prêtent pas vraiment … Malheureusement à ce moment de la course je ne suis pas suffisamment lucide pour en prendre conscience et rester positif.
Le vent se lève et j'ai l'impression d'avoir des figues moles à la place des jambes comme dirait mon grand père ... Je ne pense qu'à une chose : dormir et ne plus pédaler ... maintenant c'est sur il y a un truc qui tourne carré ! La descente aux enfers se poursuit, ma vitesse chute, ma position dans la course aussi et mon état d'esprit n'est plus du tout celui d'un triathlete rêvant de Kona. Le retour sur Cabo San Lucas est interminable, j’essaie de gérer au mieux mon état, je bois et tente de m’alimenter régulièrement en pensant au marathon, le vélo sera un fiasco c’est certain mais je peux encore sauver ma course.
Au 135e au sommet de la bosse ma moyenne est bien loin des 36km/h prévus et dans la descente Julien me reprend, il est en tête des 25/29 et il me pourrit la gueule ... ça a le mérite de me piquer dans mon orgueil et puis il a raison, on est dans le top 10 sur un Ironman labélisé et ça cela ne se reproduira peut être jamais .. Quitte à exploser autant le faire pour une bonne raison. Je reprends plusieurs kilomètres heures et me calque sur son rythme... Chaque toboggan est un enfer mais peu à peu la moyenne remonte... Je lâche prise à 5km de San José mais j’essaie de ne pas sombrer totalement … L’ultime ascension débute, cela fait déjà plusieurs heures que je pense à l’abandon mais vu mon état je suis persuadé que j’arrêterais la course à T2.
Au terme de la dernière descente, je débouche sur l’avenue principale de la ville et j’arrive enfin sur le parc à vélo après 5h35’, j’ai perdu prés de 5km/h entre le premier tour et le second, ignoble ... Une famille de français de l’hôte m’annonce 18e au scratch, dit comme ça cela ne semble pas catastrophique mais mes sensations sont désastreuses. Je laisse mon vélo à un bénévole et me dirige vers la tente de changement. Je rentre en compagnie du 3e de ma catégorie, un américain. Mes désirs d’abandon s’envolent, je décide finalement de ne pas bâcher et de partir à pied en espérant retrouver les jambes de Bandol …
Je sors de la tente 17e et 2e de ma catégorie, je me calle sur l’allure prévue : 13km/h. Je me répète en boucle que rien n’est perdu … 1km … 2km … Je m’arrête et passe 3e … je croise Julien, environ 1km5 d’avance sur moi, lui aussi il marche … Je cherche toutes les excuses possibles pour me sortir de cette course et de cet enfer … Je suis incapable de courir à mon niveau voire de courir tout court. Je sais que marcher tous le marathon juste pour finir ce sera un chemin de croix … Je ne parviens pas à m’autoriser à retirer mon dossard, je continue donc à avancer dans la fournaise … au 5e kilomètres je me remets à courir aux alentours de 11 km/h, pas bien vite mais ça permettra d’abréger cette galère.. Je suis toujours sur le podium de ma catégorie et dans les 20 au scratch, ça vaut encore le coup de se faire mal d’autant que les écarts sont monumentaux, la chaleur a fait de gros dégâts sur le vélo et ce n’est rien comparé à ce qui va se passer sur le marathon… Mais après 2km je me remets à marcher, à T2 j’avais plus de 45’ d’avance sur le 4e mais même ça cela ne me permet pas de relancer la machine…
Je continue mon périple, de ravitos en ravitos, après un aller retour le long du bord de mer je me dirige vers la sortie de la ville, ici pas de spectateurs, juste un long pont de 1km à traverser pour aller effectuer une boucle puis revenir… au 10e kilomètres je parviens à me forcer à courir de nouveau, toujours aux alentours de 11km/h, cette fois ci je repousse un peu plus la douleur, je parviens à reprendre quelques concurrents, la machine est relancée du moins c’est ce que je crois. Je termine mon premier tour et m’élance sur le second. Malheureusement après 6km je ne peux plus courir… il reste 28 km à parcourir et déjà 8h45 de course sont écoulées. Chaque ravitaillement je m’asperge d’eau, je me force à boire un peu de coca, il n’y a plus que ça qui passe… Même marcher devient douloureux, mes pieds sont complètement détruis entre l’eau et la chaleur … Je m’arrête plusieurs fois puis repart, je me maudis de ne plus parvenir à courir, j’aimerais abréger cette souffrance mais même ça je n’y arrive pas … Le premier me prend un tour, c’est le mexicain de ma catégorie. Les sentiments se mélangent, la frustration, la rage, la tristesse… Si seulement j’avais était à mon meilleur niveau …
Je passe une nouvelle fois devant la ligne d’arrivé… 28km de parcourus, il m’en reste encore 14.. Je m’éloigne du centre ville peu à peu. La nuit est tombée sur Los Cabos …